Omondi C. Paul est un ancien enfant parrainé qui vit aujourd’hui au Kenya. Journaliste, il jette un regard lucide et critique sur ce que met en lumière l’irruption de la pandémie dans la société kenyanne. Dans les lignes qui suivent, il nous partage ses observations et pointe le défi que le confinement pose aux plus pauvres.
La pandémie de COVID 19 ne fait pas de distinction dans sa manière d’envahir le monde. Elle n’a respecté ni l’ordre économique mondial des superpuissances, ni la race, la religion ou le statut social ou économique des individus. Dans un effort pour contenir la pandémie, certains pays ont instauré le confinement partiel ou total. Les consignes : d’éviter de se serrer la main, de se laver les mains fréquemment, de se mettre en quarantaine, de se maintenir à distance, de pratiquer le télétravail, d’éviter les foules et adopter de bonnes règles d’hygiène. Mais cela fonctionne-t-il ?
Des mesures barrières révélatrices
Au Kenya, de telles mesures révèlent le fossé entre riches et pauvres, conséquence de conditions de vie inégales générées par les inégalités de revenu. Alors que le lavage fréquent des mains est primordial pour se protéger du virus, ceux qui vivent dans des bidonvilles sont contraints à un choix difficile : employer leurs ressources limitées pour acheter l’eau permettant d’éviter d’attraper le virus ou pour acheter la nourriture afin de ne pas souffrir de la faim ! Ne vous y trompez pas, le confinement est irréalisable pour un ménage de sept personnes vivant dans une pièce exiguë.
L’éloignement social est probablement la clef pour contrôler la propagation du virus, mais ceux qui utilisent les transports en commun confirmeront que c’est un cauchemar. Comment maintenir la distance sociale dans les transports en commun si les opérateurs de matatu (minibus) préfèrent le profit à l’observation des directives fournies ? Comment les opérateurs de matatu peuvent-ils adhérer à de telles directives qui réduisent de manière significative leurs revenus si le gouvernement ne propose pas de mesures pour amortir le choc économique ?
Le délaissement des plus pauvres
Suite aux restrictions de voyage mises en place, les riches, qui ont l’habitude de chercher le traitement de la grippe commune à l’étranger, réalisent de plus en plus que nous sommes tous logés à la même enseigne. Personne ne va voyager. Nous devons tous dépendre des équipements de santé dépassés, sous-équipés et délabrés de notre pays pour nous sortir de cette pandémie.
La classe moyenne kenyane se plaît à crier haut et fort pour persuader chacun de rester à la maison. A nouveau, elle se révèle non seulement indifférente mais également ignorante de la vie du citoyen lambda. Elle a rempli ses réfrigérateurs, et, dans un mouvement de panique, elle a acheté tout et n’importe quoi au supermarché sans se soucier des autres.
La classe moyenne ne cesse de rabâcher cette rengaine : » il faut télétravailler ». Elle oublie que la mère célibataire qui vend ses légumes dans la rue ne peut pas travailler à la maison ! Elle oublie un peu facilement que les journaliers du centre-ville ne peuvent pas travailler à distance. Elle ignore que les journaliers n’attendent pas un chèque à la fin du mois comme elle mais doivent travailler chaque jour pour gagner de quoi vivre au quotidien.
La pauvreté est-elle un crime ?
Le couvre-feu est la nouvelle norme en ville. Tous ceux qui sont dehors après 19 h et avant 5 h enfreignent la loi. La police a décidé de s’en occuper. Les clips vidéo montrant la police en train de battre brutalement des femmes sans défense au bac à Mombasa sont très choquants. Il est choquant que de tels actes de brutalité policière ne soient pas condamnés, en particulier par la classe moyenne qui se demande toujours pourquoi ces femmes étaient sorties après le couvre-feu.
Dans ce pays, il semble que la pauvreté soit un crime. La classe moyenne est collée à ses téléviseurs en train de manger du popcorn et de célébrer sur les réseaux sociaux le fait que les pauvres soient battus par la police.
Pour une société solidaire
Le COVID 19 est une bonne occasion pour nous de méditer les mots de Tony Atkinson : » L’inégalité des résultats dans cette génération est la source d’avantages injustes reçus par la prochaine génération. Si nous craignons l’inégalité des chances pour demain, nous devons nous préoccuper de l’inégalité de résultat aujourd’hui ».
Ce pays progressera quand chaque citoyen aura l’opportunité d’améliorer son niveau de vie parce qu’est c’est cela qui est au cœur du développement et de la croissance économique. On doit rappeler aux riches et à la classe moyenne qu’on ne peut pas devenir riche et en bonne santé tout seul. Le progrès durable n’est pas une question d’individus, mais de société.