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Emmanuel Macron et la dette africaine : quelques clefs de compréhension
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Emmanuel Macron et la dette africaine : quelques clefs de compréhension

Lors de son discours du lundi 13 avril sur la situation de la France face à la pandémie de Covid-19, le président de la République Emmanuel Macron a formulé une annonce, à laquelle peu de téléspectateurs s’attendaient, concernant l’annulation de la dette des pays africains. Il a alors déclaré : « Nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique à lutter contre le virus plus efficacement, les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leur dette. » La veille, c’est le pape François qui avait demandé dans son message de Pâques de « réduire » voire « d’annuler » la dette des pays pauvres.

Si l’on comprend aisément que cet allègement de charges permettra aux pays concernés d’employer davantage de ressources pour faire face aux enjeux du coronavirus chez eux, il reste que cette question de la dette des pays en développement demeure un sujet peu connu et mal maîtrisé du grand public. Dans cet article, le SEL vous propose quelques clefs pour mieux comprendre cette problématique complexe et préjudiciable sur laquelle il est engagé depuis de nombreuses années.

Bref panorama historique de la dette des pays africains.

L’origine de l’endettement des pays en développement remonte à la période qui a fait suite à la crise pétrolière de 1973. À cette époque, les pays producteurs de pétrole s’enrichissent et placent leurs économies dans des banques. Celles-ci décident de faire fructifier cet afflux d’argent en octroyant de nombreux prêts (en dollars) aux pays en développement. Très peu de contrôles sont alors exercés sur ces emprunts et les capacités de remboursement ne sont pas analysées. En parallèle, les taux d’intérêts augmentent et le prix des matières premières agricoles (café, thé, cacao…) exportées par les pays africains chute et ce manque à gagner va les empêcher de pouvoir recouvrir leurs dettes. Une spirale négative s’enclenche. Les pays en développement en viennent à réduire leurs dépenses sociales et à devoir emprunter pour rembourser leurs emprunts !

L’un des points qui pose particulièrement question avec ces dettes c’est qu’elles ont été contractées, pour une bonne partie, par des gouvernements qui étaient des dictatures ou des régimes corrompus, et encouragées par des banques et institutions financières internationales. En conséquence, l’argent reçu n’a pas toujours permis de contribuer au développement des pays concernées. Un organisme comme le CADTM, le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, qui a fait de la question de la dette son cheval de bataille, parle ainsi de « dette odieuse » par exemple pour désigner une dette contractée par un régime despotique pour des objectifs étrangers aux intérêts de la Nation et des citoyens.

Suite à une mobilisation de la société civile au tournant des années 2000, des actions ont été prises au niveau international pour alléger le fardeau des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). Grâce à cette initiative et le temps passant, des améliorations ont pu progressivement être constatées. Malheureusement, « dans les trois quarts des pays critiquement endettés, la situation s’est encore aggravée ces dernières années » comme le signale, en avril 2019, un rapport de la Plateforme Dette et Développement, dont le SEL est membre depuis 1998. Face à cette situation, les pays à faible revenu doivent consacrer une part non négligeable de leurs ressources au remboursement de ces emprunts (et même parfois uniquement de leurs intérêts) et c’est autant d’argent qu’ils ne peuvent pas dépenser pour lutter contre la pauvreté et aujourd’hui faire face à la pandémie de Covid-19.

Une mobilisation historique du SEL sur la question de la dette.

À la toute fin des années 90, un vaste mouvement citoyen s’est donc formé sur la question de la dette des pays en développement. L’initiative Jubilé 2000 a été lancée en 1998 par des chrétiens britanniques convaincus qu’il fallait agir au niveau des institutions politiques et financières pour promouvoir l’annulation de la dette pour les pays les plus pauvres. De nombreuses associations, confessionnelles comme laïques, ont rejoint la démarche. Le SEL était l’une d’elles. Une pétition demandant l’annulation de la dette des 42 Pays Pauvres Très Endettés a alors été lancée. Elle a permis de recueillir 24 millions de signatures et est devenue la plus grande pétition existante à cette époque (en France 550.000 signatures dont 35.000 au travers du SEL). Elle a été présentée aux dirigeants des huit pays les plus riches réunis lors du sommet du G8 à Cologne le 19 juin 1999.

Le SEL a continué de porter ce sujet auprès des chrétiens français en consacrant l’un de ses dossiers de sensibilisation à cette problématique. Plus récemment, les 20 ans de la Campagne Jubilé 2000 ont été l’occasion de faire le point sur la situation d’endettement des pays les plus pauvres. Et, dès le 7 avril 2020, la Plateforme Dette et Développement, dont le SEL fait partie, a appelé à un jubilé de la dette pour lutter contre la crise sanitaire et économique du Covid-19 dans une déclaration signée par 205 organisations et plateformes de la société civile du monde entier.

Quelques perspectives bibliques sur le sujet de la dette.

Si le SEL s’est autant mobilisé sur la question de la dette, c’est parce que ce sujet est malheureusement central lorsque l’on se penche sur les problématiques de développement international mais aussi parce qu’il a un écho tout particulier pour le croyant. En effet, de nombreux textes de l’Ancien Testament évoquent des remises de dettes (Exode 22.24-26 ; Lévitique 25 ; Deutéronome 15.1-15). Patrick Guiborat, directeur général du SEL, expliquait ainsi, dans le dossier de sensibilisation consacré à ce sujet, que « chacun assumait ses échecs et ses succès, mais périodiquement les compteurs étaient remis à zéro pour que les inégalités ne deviennent pas insupportables et que chaque génération puisse vivre sans porter tout le poids des erreurs et des injustices du passé. Tous les sept ans (année sabbatique), et surtout tous les cinquante ans (le jubilé), Dieu voulait permettre un nouveau départ. Pourquoi ? Parce que lui-même a offert un nouveau départ à son peuple, et il lui demande de faire de même. » Si l’idée n’est pas d’appliquer directement ces lois mosaïques de nos jours, celles-ci trouvent néanmoins un écho particulier dans les problèmes d’endettement actuel des pays en développement et les principes qui les régissent peuvent nous guider aujourd’hui encore.

Un passage à l’acte plus compliqué à mettre en œuvre.

Si l’annonce effectuée par Emmanuel Macron va dans le bon sens, il faut désormais que les actes suivent les paroles. Il y a toujours le risque de voir la montagne accoucher d’une souris et les experts des ONG qui suivent le dossier restent sceptiques. Si le Président de la République française a ainsi parlé d’annulation, pour le moment les ministres des Finances et les banquiers centraux du G20 ont uniquement donné leur aval mercredi 15 avril à une suspension immédiate et d’une durée d’un an de la dette des pays les plus pauvres. Les pays concernés devront quand même tout payer, et avec des intérêts supplémentaires. Pour les organisations de la Plateforme Dette et Développement, « un tel accord peut donner une bouffée d’air aux pays concernés mais reste bien insuffisant ». De véritables annulations des dettes sont nécessaires pour permettre aux pays du Sud de faire face à la crise.

Autre dimension importante à prendre en compte, la grande partie des dettes africaines sont aujourd’hui détenues par des banques privées et par la Chine qui n’est pas membre du Club de Paris, un groupe informel de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés. Ainsi, la déclaration d’Emmanuel Macron n’aura que peu d’écho s’il n’arrive pas à convaincre d’autres chefs de gouvernement de lui emboîter le pas. Son annonce a entrouvert la voie. A voir désormais quels seront les prochains pas…